Tout le monde me dit que la Crète est inévitable, je vais enquêter sur place. Attention article interminable ! (à écrire pour moi en tout cas)
Les hommes de la caverne découvrent la lumière
Héraklion
J’arrive en Crète au port d’Heraklion, une ville aux fortifications vénitiennes fameuse pour avoir connu un siège d’une vingtaine d’année, le plus long siège de l’histoire. On sent que vraiment la vie est facile à vivre, une grande partie du centre ville est piétonne.
Jolie église au centre à la lumière du soir
Je me rends dans mon auberge la bien nommée IntraMuros. C’est une auberge conçue pour un petit nombre de personnes et effectivement l’ambiance est légère, les gens se rencontrent et discutent.
Le musée archéo
Je commence par le musée. Il est très impressionnant, on s’aperçoit à quel point la civilisation minoenne est différente de la grecque et qu’elle est pleine de ressources. Il faut malheureusement faire des choix dans les objets à vous présenter ici.
Corrida antique (Tauromachie)
A gauche : grandes double-haches cérémonielles (pas de Goliath pour les tenir)
A droite : taureau à libation, on mettait du vin dans un réceptacle derrière la tête et le vin sort par les narines
Les flèches indiquent le morceau de fresque retrouvé, la première reconstitution a cru à un corps d’homme, mais un autre bout de fresque a révélé plus tard que c’était un singe ! D’où la deuxième reconstitution à gauche
Procession funéraire sur un tombeau.
A gauche : taureau sacrifié sur un autel dont on récupère le sang. Joueur de double flûte.
A droite : on vient verser le sang dans un grand récipient entouré de double-haches, puis on apporte les offrandes pour le voyage du défunt que l’on identifie tout à droite
La déesse minoenne est représentée trois fois : au milieu en forme miniature dans l’air, assise à droite sur terre, et sur un bateau à rame en bas sur la mer. Symbolise l’unification du monde mortel (pas compris je répète)
Boucle d’oreille de Malia (un des palais minoen de Crète) représentant des abeilles
Figurines de déesses minoennes, dont la déesse aux serpents à droite (j’espère que Github ne va pas me clôturer le blog 🔞)
Une des pièces maîtresses du musée, le disque de Phaïstos (du nom du palais où il a été retrouvé). Le disque est mystérieux tant par ses symboles que par son origine. Il aurait été rapporté en Crète et serait vraisemblablement un ensemble d’incantations magiques.
Le palais d’Evans
Je visite ensuite le palais de Cnossos, mythique pour les légendes du labyrinthe, du roi Minos et du Minotaure.
Je capte un des meilleurs points de vue
Cependant sur place je constate qu’il ressemble plus au palais d’Evans, l’archéologue qui a fait les excavations sur place. En effet, le lieu a été restauré de manière grossière à la bétonneuse. On se croirait à Brest. J’exagère mais c’est vrai que ça aurait pu être mieux fait.
Salle du trône
Bassin lustral que l’on retrouve à différents endroits du palais et dans tous les palais. Un escalier en colimaçon carré (ça existe ?) descend vers le bassin
Egalement les interprétations sur l’usage des lieux sont laissés à la charge d’Evans sur les panneaux. On peut souvent y lire “Selon Evans…”. C’est un signe qu’aujourd’hui beaucoup d’archéologues remettent en cause son héritage. Au XIXème siècle les archéologues occidentaux sont obsédés par la redécouverte des sites de la mythologie et de la littérature grecques. Si bien qu’ils prennent parfois peu ou pas de considération pour la réalité historique et tentent de la modeler pour la faire correspondre avec leur idée. Ainsi Evans a recherché absolument le sacre du taureau et du Minotaure, il a nommé labyrinthe un ensemble de salles qui étaient juste petites par nécessité, car les minoens ne savaient pas faire de voûte. Il a fait du site archéologique le palais du roi Minos alors qu’il est plus vraisemblable que ce soit un temple.
Entrée du labyrinthe, bon courage voyageur
Je vous ai épargné le béton dans les photos.
Les voyageurs
Nous avons un petit groupe très rigolo à Héraklion. Ce groupe comprend Stefan, serbe prof d’anglais en pleine reconversion vers le code, Annelise, une new-yorkaise d’origine italienne, Simon un suédois un peu perché et Chloé une belge en étude de droit et mono de voile. Il est facile de discuter et de s’ouvrir à la confidence.
Les toits d’Héraklion vus de l’auberge. Une famille iranienne y vit avec nous, le père travaille ici.
Lors d’une soirée sur le toit de l’hôtel (il y a un toit aménagé vraiment parfait pour les soirées), la discussion prend une forme inhabituelle un peu par hasard : tour à tour chacun prend place dans le fauteuil central et explique son parcours, raconte des anecdotes ou se confie sur un événement en particulier. En vérité il n’y pas assez de fauteuils donc c’est une manière de partager les places les plus confortable. Je suis le premier à commencer, je raconte mon anecdote des 5 doigts de la main qui vient juste de m’arriver (voir plus bas), personne n’était au courant donc je fais un travail d’intérêt public. Je parle également de mon métier pour lequel certaines personnes sont étrangement intéressées.
C’est ensuite au tour d’Annelise. Elle cherche sa voie en Europe, elle est assistante photographe, mais elle souhaite devenir photographe professionnelle pour couvrir des événements généraux. Elle a passé un peu de temps à Naples à documenter la vie de sa grand-mère. J’ai pas son Instagram peut-être que je lui demanderai !
Elle nous raconte également, et personne ne s’y attendait, qu’elle a grandit dans une secte catholique. Elle était déscolarisée, élevée par ses parents et fréquentant une église très conservatrice. Heureusement, rien ne lui ai arrivé de malheureux, mais en grandissant et en découvrant le monde extérieur, elle est restée très naïve (selon ses mots), elle s’est faite avoir à de nombreuses reprises avant d’affûter son jugement. Cette histoire l’a affectée personnellement mais elle s’en remet petit à petit. Nous parlons religion, spiritualité. J’aime bien raconter que j’ai grandi entre un père anti-clérical primaire et une mère plutôt catholique.
Les vitraux et les fresques de l’église orthodoxe d’Héraklion - somme toute apaisant
Simon, un Suédois qui n’a pas beaucoup pris la parole prend sa place sur le fauteuil, il reprend le sujet de la spiritualité mais le déplace. Il nous parle de sa profonde croyance dans les fantômes et des espaces hantés. Il s’est senti mal dans des endroits où ont eu lieu des morts violentes. Il s’est retrouvé plusieurs fois tétanisé littéralement, incapable de bouger un pouce. Également il nous montre une photo que sa sœur a prise d’un couloir, on y voit une ombre bizarre de la forme d’un crâne. J’ai malgré tout du mal à croire qu’un fantôme ait pris la pose. Malheureusement ce n’est pas dans ces histoires là que ma spiritualité s’active, je deviens le scientiste un peu chiant. Cependant je dois bien avouer avoir vécu des expériences similaires, dans lesquels j’ai pu ressentir la terreur d’un espace vide et noir et que mes émotions surpassent mon froid scepticisme.
La fatigue prend le dessus, tout le monde va se coucher, mais par sadisme, je rappelle que le bâtiment dans lequel l’auberge se trouve est un ancien hôpital psychiatrique (en fait non c’était un maternité).
Nikoalos
Nikoalos est un chypriote (grec pas turc), je fais un petit encart parce qu’il m’a parlé des camps de réfugiés et du fait que ceux-ci recevaient 1000€ par mois du gouvernement. J’ai trouvé l’info bizarre, mais c’est possible. Après tout, l’UE envoie bien 6 milliards d’euros à la Turquie d’Erdoğan pour garder les réfugiés syriens sur son sol. J’ai eu le droit aussi avec Nikoalos à une petite diatribe comme quoi lui est chrétien et eux non donc c’est pas normal blabla… Je lui ai quand même fait remarqué que le message du Christ passait à la trappe dans son discours.
Il n’y a pas d’amour
Stefan et Constantinos
Pendant mon séjour à Héraklion, je m’entends super bien avec Stefan, un Serbe qui a grandit en Bosnie. Stefan a la tchatche, il est un peu excentrique, c’est à chaque fois un plaisir de discuter avec lui. Il a un parcours un peu particulier, il a commencé des études d’électronique, mais a vite arrêté pour se rediriger des études de langues notamment sur la langue serbe. Et maintenant il est prof d’anglais à distance pour des enfants chinois.
Mais Stefan est victime de son cerveau trop curieux, il veut tester et vivre mille choses. Il s’est lancé tout seul dans la programmation, donc il me pose plein de questions, ça m’amuse beaucoup d’y répondre.
Lors de ma dernière soirée à Héraklion, je m’attable seul dans un modeste restaurant recommandé par Trop Advisor. Stefan me capte et me rejoint un peu après. Il doit retrouver Constantinos car il dort chez lui ce soir, ils se sont trouvés par le biais de Couchsurfing, un site internet où des particuliers proposent un canap pour dormir à des étrangers, tout ça gratos.
Constantinos est un personnage, c’est un crétois de 50 ans crâne rasé et fort dans son âge. Il est un ambassadeur de la plate-forme Couchsurfing avec plus de 500 références (c’est énorme). Celui-ci nous rejoint également accompagné de Cristina et Appolina.
Stefan et moi sommes un peu intimidés mais Constantinos nous raconte ses histoires :
- il se fait passer pour un “drug dealer” à chacun de ses hôtes pour voir leur réaction
- il est pilote d’avion donc c’est plausible (il est pharmacien en vérité).
- il a été témoin de mariage d’un de ses hôtes Couchsurfing
Ça permet de faire des expériences vraiment iconoclastes mais depuis que c’est devenu payant, l’ambiance n’est plus la même.
Également Constantinos nous parle de son ami ancien ambassadeur ou représentant en Grèce chinois. Ils se sont connus à la fac, ils étaient dans le même dortoir (me demandez pas comment l’un est devenu ambassadeur). Puis après ses activités diplomatiques, son ami s’est reconverti dans le business et possède plusieurs centaines d’entreprises en Crète et en Grèce. Constantinos nous montre les photos de la villa dans laquelle son ami habite. C’est un véritable palace, où peuvent bien se situer des baraques comme ça ?
Ça me fait réfléchir sur le sens de mon voyage et ma poursuite des ruines antiques. Si la production dans le monde moderne a, depuis l’Antiquité, évolué de manière exponentielle et que les rapports de production sont restés peu ou prou les mêmes entre patriciens et travailleurs, alors combien de palaces comme ceux-ci ? Quelle densité, quelle excentricité ?
Peut-être que l’on visitera dans 1000 ans les restes de la demeure de Bernard Arnault avec des étoiles dans les yeux. J’espère dans moins de temps que cela.
Dans tous les cas, il est possible que je fétichise un peu les demeures antiques et que je marque mon appartenance de classe alors que je ferai mieux de prendre le premier vol pour Dubaï si je voulais vraiment être moderne.
Deux jours plus tard, je recevrai des photos de Stefan en plein pilotage d’un ULM au-dessus d’Héraklion. Comme quoi, il faut que je me remette à Couchsurfing.
Héraklion en avion
Constantinos et Stefan qui me narguent
Autres personnages rencontrés
- George, un british joueur de poker pro, nous explique qu’à un certain niveau le poker, ça ne se joue quasi qu’au bluff, aucune partie ne va jusqu’au bout, il faut connaître par cœur les stratégies et les comportements de ses adversaires dans telle ou telle situation.
- rlatpghks6 (son pseudo insta, j’ai pas retrouvé son nom), jeune Coréen en master en séminaire d’électronique, prédestiné à travailler dans les grands groupes Coréens, mais qui profite de son voyage pour prendre du temps libre et réfléchir à comment ne pas se faire happer sa jeunesse par des multi-nationales.
- Cristina, colombienne étudiante à l’ESSEC en finance qui se vexe quand on dit “Américains” pour désigner les habitants des USA.
Les 5 doigts de la main 🖐
Petite anecdote marrante pour terminer, qui peut peut-être vous servir si vous voyagez en Grèce. Je cherchais un endroit pas cher et rapide pour manger, c’est simple, il suffit d’aller au Gyros. Je me rends à une enseigne qui a pignon sur rue. Il se trouve que les vendeurs sont marrants, et vendent le mieux qu’il peuvent leur Gyros. Ils me demandent de laisser un commentaire ou une note en ligne sur Google Maps ou Trip Advisor (c’est vrai que ça attire le chaland, c’est comme ça que je suis arrivé au restau). Tout fièrement, je tend le bras et leur présente ma paume de main les 5 doigts écartés en disant sur le ton d’une boutade “5 stars” (5 étoiles).
Je m’en vais sur le champ, et je me marche 30s me préparant à déguster mon gyros végétarien aux champignons (miam miam). Quand tout à coup, un fait essentiel que j’ai découvert dans mon guide du Routard me revient à l’esprit : je viens de maudire par tous les Saints les vendeurs de Gyros en faisant ce geste. Montrer sa paume de main les cinq doigts écartés veut à peu près dire “va manger tes morts”.
Je fais demi-tour immédiatement pour m’excuser, heureusement ils comprennent, c’est écrit sur mon front que je suis un touriste. Mais combien de personnes ai-je sanctifiées par Satan ainsi ? Ils m’expliquent qu’il faut mieux joindre les doigts (mais là on risque de faire un salut nazi) ou de montrer le dos de la main. Franchement c’est tellement pas naturel que je préfère faire un pouce ou un V.
Peut-être l’origine de Parle à ma main du poète Fatal Bazooka
Pour aller plus loin
Valeur sûre, vidéo de Passé Sauvage sur Cnossos
Cette fois-ci j’ai regardé la reconstitution d’Assassin’s Creed Odyssey et je trouve qu’ils ont fait un peu n’importe quoi avec le Palais de Cnossos donc j’ai pas trop envie de le mettre ici.
Je suis également passé par la tombe de Nikos Kazantzakis grand voyageur et auteur grec fortement recommandé. Voir Toutes les mers et tous les ports par Ulysse Baratin dans Le Monde Diplomatique