Deuxième partie de ma visite d’Héraklion, attention cette partie est réservée à l’élite mondiale, ça devient politique !
Le fort vénitien d’Héraklion. Bizarre la mer n’est pas droite…
Vagabondage
Nous devions partir nous balader aller voir le plateau du Lassithi avec Annelise, Stefan et Simon avec la voiture de ce dernier mais Simon justement, avec un rhume depuis que je suis arrivé, s’est réveillé bien mal en point. Nous annulons la sortie. Diagnostic quelques heures plus tard : Covid. Heureusement malgré la proximité, je ne l’attraperai pas.
Je passe le temps autrement, notamment à me casser la tête sur ce que je souhaite faire en Crète. Je connais mon point de départ et mon point d’arrivée, mais je n’ai aucune idée de l’entre-deux. Je décide de rajouter une journée à Héraklion. Je me balade en ville et je cherche une voiture de location pour les jours qui suivent.
Fresques que l’on peut retrouver un peu partout dans Héraklion
Le lendemain, malheureusement ils n’ont plus de place dans mon auberge, je dois en changer, je remballe toutes mes affaires et je vais de l’autre côté de la ville. L’aubergiste m’accueille en me parlant des émeutes en France dûes au meurtre de Nahel. C’est comme ça que je reste informé, grâce aux Grecs.
Rues d’Héraklion
À mon grand bonheur je passe devant un squat juste à côté de l’auberge. Je crois comprendre qu’ils organisent une projection à 19h de The Unhappy Few. En attendant j’écris quasiment toute l’aprem dans le canap de ma nouvelle auberge. Celle-ci est d’ailleurs un peu particulière, il y des dortoirs sur le toit. Et ça a l’air d’être un peu des gens dans la galère (des migrants aussi peut-être).
Ma vue depuis le toit et depuis le canap
Anarchisme
19h : il est temps pour moi d’aller à l’événement du squat. Je rencontre sur le parvis un homme la trentaine au style Che Guevarra. Son anglais est plutôt bon et pour une fois il est super ouvert, on discute bien. La réunion de ce soir est sur les modes d’organisation, la spontanéité des luttes, des thèmes qui sont également très prégnants en France dans les milieux de gauche. L’événement n’a pas l’air de commencer immédiatement, je peux discuter un peu. Appelons-le Kostas. Il s’est retiré des activités politiques, mais il reprend petit à petit, il se rapproche des anarchistes mais il se définirait comme partisan du communisme de conseil (anarcho-communiste, communisme libertaire, en tout cas ennemi mortel du stalinisme).
Le squat, fier de tenir depuis 21 ans. Il est écrit un poème mais je sais pas si j’ai le courage d’aller chercher une traduction.
La politique parlementaire ne l’intéresse plus. A juste titre, le pouvoir ne se situe pas au niveau du Parlement Grec mais au niveau de la Commission Européenne. Il me fait rencontrer un de ses camarades qui pour le coup est un vrai toto (anarchiste). Il m’explique qu’ils tiennent ce squat depuis 21 ans. Le bâtiment était inutilisé et ils s’y sont installés. Il tienne un journal anarchiste qui est général à toute la Crète. En ce moment a lieu une vague d’expulsion des squats. À Héraklion, la police a tenté de s’introduire dans les lieux mais n’a pas réussi, tandis qu’à La Canée, où un hôtel doit être construit, le squat a été vidé.
Tous les deux ne sont pas très rassurants quant à l’avenir de la Grèce. Pour eux, la gauche institutionnelle telle que Syriza est une mascarade, Antarsya est un groupe qui est divisé en deux groupes en interne (toute ressemblance avec le NPA en France est fortuite) et enfin le KKE est rempli de gens homophobes et stalinistes. Également le taux de syndicalisation en Grèce est faible. Le rapport de force capital-travail est totalement en faveur du capital. Ils prédisent donc l’arrivée du fascisme en Grèce (alors que mon impression était quand même que la Grèce résistait mieux que l’Italie).
Vous pouvez aller faire un tour sur le site du squat par ici : evagelismos.squat.gr
La crise grecque expliquée par le Routard
Tout cette section est extraite du Routard Crète édition 2023/2024.
Oui le Routard est ma référence en économie. Mais ils ont fait un super taf donc je transmets
La Crète n’a pas échappé à la tourmente qui a fait la une de l’actualité et emporté l’économie grecque. La crise de la dette a bouleversé la vie des Grecs au quotidien. Pour en comprendre les ressorts, il faut remonter quelques années en arrière.
Une économie poussive… et grise
Officiellement, la Grèce avait réussi à satisfaire aux fameux critères de convergence du traité de Maastricht, ce qui lui avait permis d’adopter l’euro début 2002. Dès 2004, les statisticiens d’Eurostat révélaient qu’en réalité la Grèce n’était pas dans les clous du fameux pacte de stabilité… Déficit record (7,9 % du PIB) et dette au-delà des 100 % du PIB. Le gouvernement Karamanlis (2004-2009) assurait avoir réduit ce déficit, mais la crise internationale est arrivée. On sait depuis ce qui est advenu… La Grèce était leader en Europe, devant l’Italie, pour la part occupée par son économie souterraine (au moins 30 %). Fin 2006, le gouvernement grec tentait de réviser de 25 % son PIB à la hausse, afin de prendre en compte cette économie parallèle et « alléger », artificiellement, son taux d’endettement. Mais Eurostat a largement retoqué la manip.
Fakelaki
Le mot signifie « petite enveloppe », celle que l’on offre en douce, en guise de corruption. Tous les secteurs sont touchés: santé, éducation, justice, police, urbanisme… Ici, le fisc est le moteur de la fraude car « en Grèce, payer ses impôts, c’est être un con dit-on. Résultat, l’Etat est pauvre.
Toutefois, les Grecs ne semblaient pas vivre si mal, après tout. La Grèce, il est vrai, se plaçait, avec l’Irlande, parmi les tout 1er pays bénéficiant des subsides de Bruxelles (45 milliards d’euros accordés pour la période 2000-2006). Sauf que, derrière cette façade, se cachait une tout autre réalité…
Si l’on excepte le tourisme et la marine marchande, l’économie grecque n’est guère connue pour ses performances (faiblesse des exportations, compétitivité insuffisante). Le secteur public pléthorique et peu efficace comptait près de 800 000 fonctionnaires en 2010, résultat d’un clientélisme traditionnel (“tu fais embaucher mon gendre, je vote pour toi” ). Quant aux dépenses militaires, gonflées par un voisinage tendu avec la Turquie, elles étaient parmi les plus élevées d’Europe.
Sans parler d’un des principaux problèmes de l’Etat grec: la difficulté à faire rentrer les recettes. La fraude fiscale ainsi que l’évasion fiscale, présentées comme un sport national », étaient pratiquées au plus haut niveau. On a également beaucoup parlé de corruption au quotidien. On donne une « enveloppe » au médecin pour qu’il s’intéresse à votre cas prioritairement, au fonctionnaire du fisc pour qu’il vous laisse tranquille… et parfois même à quelqu’un placé devant vous dans une salle d’attente, pour passer devant lui ! Beaucoup d’argent circule en Grèce, mais pas en direction des services de l’Etat.
Des causes historiques expliquent cette défiance envers l’Etat. Lorsque le pays est devenu indépendant vers 1830, il s’est vu imposer des têtes couronnées de dynasties européennes étrangères qui ne se sont jamais vraiment acclimatées, puis des gouvernements sans grand pouvoir, qui ont toujours préféré le clientélisme à l’Etat-providence. Bref, la Grèce n’a guère connu, à l’exception de Vénizélos, de chefs de gouvernement ayant une vision du pays. On a gouverné à courte vue, sans poser de bases solides.
Un cadastre sans cadre
La Grèce est pratiquement le seul pays européen à n’avoir pas réussi à se doter d’un cadastre vraiment efficace. On a pourtant commencé à s’en préoccuper en 1995, mais le résultat tarde à venir… Les conséquences sont terribles: impôts fonciers ridicules, constructions sans permis, contestation des actes de propriétés, absence de plans d’urbanisme…
Le feuilleton de la crise
Fin 2009, les « vrais » chiffres de l’économie grecque sortent: la dette publique atteint environ 120 % de la richesse nationale, et le déficit du PIB est de 12,7 %. Papandréou annonce alors un classique plan de rigueur. L’Allemagne rechigne à approuver un plan européen d’aide à la Grèce, car l’opinion publique outre-Rhin est remontée contre ces cigales» d’Européens du Sud.
Le plan d’aide à la Grèce (ou de sauvetage) prend la forme d’un ( prêt de 110 milliards d’euros sur 3 ans, le FMI y contribuant à haute·ur de 30 milliards. En échange, on demande de nouveaux sacrifices à la Grèce, en lui fixant comme objectif de réduire ses dépenses de 30 milliards d’euros sur la période 2011-2013… après 4,8 milliards pour 2010. L’Allemagne et la France sont les 2 plus gros contributeurs. En échange de cette manne, Athènes est quasiment mise sous tutelle.
Les membres de la « troika » UE-FMI-BCE viendront régulièrement ausculter le malade et déterminer si la potion amère est suffisante ou s’il faut encore alourdir le traitement. Le pays est à genoux, on frise l’absurde. Pour les Grecs, le choc est immense. Un double sentiment de colère et d’humiliation est partagé par une grande partie de la population - qui se demande comment le pays a pu en arriver là, tout en sachant confusément pourquoi. S’en mêle un sentiment de culpabilité collective et de fatalisme. Les Grecs, pendant des années, se sont endettés en profitant des taux très bas des banques qui leur prêtaient à tout-va.
Pour réduire le déficit à marche forcée, tout l’arsenal des mesures classiques s’applique: réforme des retraites, baisse des salaires, hausse de la fiscalité, suppression des 13 et 14 mois chez les fonctionnaires - qui étaient des compensations à la faiblesse des salaires. Le coût social est énorme et injustement réparti. Le pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes est très sévèrement impacté, ce qui entraîne la récession.
Tire-t-on sur une ambulance ?
Si certains des particularismes de l’économie grecque sont indéfendables, accabler la Grèce de tous les maux est injuste et cruel. L’économie du pays est aussi victime des dérives du libéralisme et d’une politique monétaire faite par et pour l’Allemagne. Faut-il rappeler qu’un des plus gros scandales politico-économiques de ces dernières années en Grèce (2007) a été l’affaire Siemens ? Le groupe versait d’énormes pots-de-vin à certains hommes politiques grecs… Quand il y a des corrompus, il y a aussi des corrupteurs… Et certains pays qui ont fait la morale à la Grèce au sujet de ses dépenses inconsidérées, notamment en matière militaire, la poussaient en même temps à leur acheter des frégates ou des avions de combat.
Austérité encore…
En 2011, le scénario le plus pessimiste prend corps. Un 2ème plan d’aide, d’un montant similaire au 1er, s’avère nécessaire. Et, avec lui, de nouvelles mesures d’économies. La perspective de voir brader le pays par des privatisations nombreuses pour 50 milliards d’euros, la défiance profonde à l’égard du personnel politique nourrissent le mouvement des Indignés qui, en mai 2011, occupent la place du Parlement. Est alors voté un nouveau plan d’économies pluriannuel. S’ajoutent l’abaissement du seuil d’imposition, l’augmentation des taxes, les nouvelles réductions des salaires et des retraites du secteur public.
La faillite du pays est évitée pour un temps. En revanche, le divorce entre société et classe politique est total. La suite est sans surprise : déficit budgétaire à nouveau supérieur à celui estimé, récession également plus importante, production industrielle en chute libre. La stratégie adoptée ne mène qu’à l’appauvrissement durable des Grecs et il faut donc envisager ce qui, jusqu’alors, était rejeté: un défaut de paiement partiel (en clair, 1/3 de la dette totale du pays, environ 350 milliards d’euros, sera effacé, les prêteurs, banques et fonds d’assurance perdant la moitié de leurs créances).
Dette en l’air
L’Allemagne, aujourd’hui si dure avec la Grèce, n’a jamais remboursé un prêt forcé de 476 millions de Reichsmarks contracté par les nazis auprès de la Grèce en 1941 au titre de l’Occupation… Cet emprunt avait été, en effet, “oublié” par l’accord de Londres en 1948, car on souhaitait éviter de répéter l’humiliation subie par l’Allemagne après la 1e Guerre mondiale en chargeant trop la barque. Sans compter les intérêts, cette somme correspond à 14 milliards de dollars….
… et toujours
Et, comme attendu, 2012 confirme les craintes : taux de chômage atteignant 25,1%, récession accrue, réformes structurelles exigées restant à venir… Dès l’été, un énième plan d’économies entraîne, une fois de plus, de nouvelles coupes dans les salaires et les retraites. Refrain connu, jusqu’à l’absurde. En 5 ans, l’économie grecque s’est contractée de 1/3, et la baisse des salaires de 2009 à fin 2012 a été de 30 %. Pourtant, malgré les propos rassurants (« le plus dur est derrière nous… »), le vote par le Parlement, en 2013, d’une nouvelle baisse du salaire minimum pour les jeunes (490 € désormais, contre 586 € pour leurs aînés) en disait plus que les propos officiels. Le chômage, lui, a atteint les 28 % en 2013 et, chez les moins de 25 ans, le sommet effrayant de 60 %. Quant au système de santé, il se retrouve sinistré. Conséquence directe, parmi d’autres, le doublement du nombre de personnes contaminées par le VIH.
Le changement dans la continuité
Début 2015, Syriza remporte les législatives sur un programme de refus de l’austérité. Les négociations se tendent avec les créanciers, le gouvernement appelle les électeurs à trancher par référendum… pour, finalement, entériner un 3 plan d’aide » encore plus brutal que celui contre lequel les urnes s’étaient prononcées 1 semaine plus tôt ! On ne parle plus de troika, mais ce sont bien les mêmes créanciers qui délivrent un nouveau prêt de 86 milliards sur 3 ans, en échange de nouvelles mesures d’austérité et de libéralisation de l’économie, et de la création d’un fonds de privatisations de 50 milliards d’euros. C’est à peine si le paquet de 35 mesures, votées en août, alors que beaucoup de Grecs étaient en vacances, a eu le temps d’être débattu à l’Assemblée…
La potion est la même que les précédentes. Evidemment, en 2017, la dette est toujours abyssale (180 % du PIB). Les créanciers sont revenus à la charge, exigeant de nouvelles mesures d’économie avant de verser la prochaine tranche du plan d’aide ». Au programme, une nouvelle augmentation des taxes, une accélération des privatisations, et une énième réforme des retraites, avec hausse des cotisations et nouvelle baisse des pensions !
En 2017, ironie de l’histoire, on a appris que le pays avait dégagé un excédent budgétaire en 2016… Du coup, la note de la Grèce a été relevée. Pas vraiment une consolation pour l’homme de la rue, quand on sait qu’au printemps une 14° réforme des retraites a été votée (au final, les pensions ont baissé de 40 % en moyenne). L’accord signé le 15 juin 2017 entre la Grèce et ses créanciers s’est globalement inscrit dans la ligne des précédents, même si quelques petites avancées ont été enregistrées.
2018-2022
Durant l’été 2018, on s’est unanimement et bruyamment réjoui, aussi bien du côté du gouvernement grec que de celui des institutions européennes, de ce qui a été présenté comme la sortie de la Grèce de la tutelle exercée par Bruxelles et le FMI. S’il est vrai qu’il n’est plus prévu d’aide financière après les 3 plans de sauvetage, soit 273 milliards d’euros de prêts, et que la Grèce a obtenu un délai supplémentaire de 10 ans pour commencer à rembourser sa dette, avec également 10 ans de plus pour en finir avec ces remboursements (2069), le pays est resté sous surveillance renforcée des contrôleurs européens jusqu’en 2022.
Tsipras, qui a annoncé vouloir déchirer les mémorandums, devra encore faire passer, entre autres, une nouvelle baisse des retraites début 2019… Les banques n’accordant que peu de prêts, l’État lui-même payant fort mal ses fournisseurs, des pans entiers de l’économie tournaient toujours au ralenti en 2018 et en 2019, malgré les propos officiels rassurants. Le retour du pays sur les marchés pour se financer a semblé se faire sans problème.
Mais le tourisme florissant (33 millions de touristes en 2019) est vu comme une bouée de sauvetage et permet à une partie de la population de s’en sortir: il compte désormais pour plus de 20 % du PIB. En 2019, l’arrivée du nouveau 1 ministre, parti pour privatiser à tout-va, a plu aux marchés, et un remboursement anticipé d’une partie des prêts accordés par le FMI a été effectué. En août 2022, le gouvernement s’est (à nouveau) réjoui de la fin de la tutelle (« surveillance renforcée ») de l’Union européenne. Le chômage est passé sous les 13 %, la dette est toujours de 180 %… Mais le pays reste exsangue» socialement et la « monoculture du tourisme, qui souligne la faiblesse de tous les autres secteurs de l’économie, inquiète les économistes.
A voir
Bande-annonce de Adults in the room de Costa-Gavras, retraçant l’élection de Tsipras de Syriza et les négociations avec la Commission Européenne