Ioannina La Rouge - Grèce

En arrivant à Ioannina, je découvre deux choses :

  • il pleut des cordes
  • ya beaucoup de gauchistes

Je me sens chez moi tout de suite.

ekp Manif sous la pluie à Ioannina

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Les premiers que je vois sont les marxistes-léninistes du Parti Communiste de Grèce (KKE). Et c’est vrai qu’ils sont partout en ville, c’est la première chose qu’on aperçoit, sur tous les poteaux ils ont mis un petit panneau. Ils organisent un meeting le 20 juin mais je serai déjà parti 😪 .

Mais je dois dire que ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Eux ont des positions disons un peu obtuessur la démocratie, le marxisme, la Russie…

Panneau KKE On peut difficilement faire plus visible

Je vais les aborder pour discuter. J’apprends que la veille, 400 migrants sont morts noyés au large de la Grèce. Ils dénoncent les manifestations d’extrême droite qui ont lieu et la politique de l’agence FRONTEX de l’Union Européenne et de la Grèce*.

Ils m’apprennent également que je tombe en pleine période d’élection ! Ce sont les législatives, les élections les plus importantes du pays, qui ont déjà eu lieu en mai, c’est la droite Nouvelle Démocratie qui en est sortie grande vainqueure devant Syriza (gauche radicale marxiste, l’équivalent de la FI en Grèce, mais qui a tourné vinaigre), mais elle n’obtient pas la majorité absolue qu’elle souhaiterait pour gouverner. Le Premier Ministre Kyriákos Mitsotákis dissous donc le Parlement pour procéder de nouveau à un vote et tenter d’obtenir une nouvelle fois la majorité absolue.
Le KKE n’a récolté que 0,5% des voix à Ioannina pourtant ils sont de nombreux militants. Ioannina est en fait une ville étudiante ce qui explique la proéminence des partis de gauche. Je les remercie et je retourne à mon plat.

Plus tard la manif repasse avec beaucoup plus de monde et beaucoup de jeunes (j’ai pas pris la photo pour pas faire le touriste mais j’aurais peut-être dû). Cette fois-ci, c’est un ensemble d’organisations de gauche qui défile. Je ne vois pas passer Syriza.
Une militante distribue des tracts aux gens qui mangent, j’en profite pour dire que je suis un camarade. Elle parle un peu français et elle connaît bien la situation politique en France, elle est membre du parti anti-capitaliste ANTARSYA (ΑΝΤ.ΑΡ.ΣΥ.Α, Coopération anticapitaliste de gauche pour le renversement, à peu près équivalent au NPA). Je me prends un petit taquet sur le fait que la FI n’est pas assez radicale et trop centrée sur Mélenchon. On termine quand même sur une note positive en se disant qu’on est tous dans le même bateau.

Le pétrole c’est non

Le lendemain de Vikos, c’est plus calme, j’avais pas prévu qu’on trouverait une voiture aussi rapidement. J’ai une mission en particulier : trouver un chapeau. Et oui mon beau chapeau de paille a été livré en offrande à la Fnac de Valence.
Tout d’abord, on se balade un peu avec Louis et un Allemand. Louis part aujourd’hui pour les météores tandis que je ne pars que le surlendemain. On mange des plats traditionnels dans une boutique recommandée par Kostas.

Je dis au revoir à Louis en pensant le recroiser aux Météores et je continue ma balade. Et bim deuxième manif !

Cette fois, c’est contre un projet de forage pétrolier à 20 minutes de Ioannina à Zitsa. Il y a encore plus de gens que la dernière fois, même des anarcho-primitivistes font leur apparition. La manif est assez dense j’en profite pour parler avec tout le monde.

Dragon Ils ont un Dragon !

Mais j’ai du mal à trouver des gens sympas qui veulent me parler ouvertement à la fois du problème et de la situation politique en Grèce, soit il ne parle pas bien anglais ou français, soit il me voit comme un touriste qui prend la manif pour un spectacle. Même quand je leur explique que je suis militant en France. Et puis quand je leur parle, il m’explique des bases théoriques que je connais déjà et pas leur sentiment personnel.

Heureusement ce sont des gens du parti anti-capitaliste qui prennent un peu plus le temps de discuter. On a du parler un peu de la manif en cours et des manifs en France.

Petite pensée quand même au manifestant à l’avant de la manif qui soutient les villageois, mais qui dit que la manif n’est pas politique. Pour le coup c’est raté mon pauvre.

cortege La tête de cortège

La manif se termine, je cherche mon chapeau qui sera indispensable. Dans les boutiques spécialisées, ils vendent des chapeaux hors de prix, je vais dans les boutiques chinoises prêt à acheter un chapeau de mémé. Finalement je trouve exactement ce que je cherche chez des commerçants très gentils avec qui je sors 2-3 mots de chinois.

Eugenio art

Le soir, je sors chercher quelque chose à manger, et je tombe sur Eugenio, un Espagnol de l’auberge, anciennement installé au Mexique qui a tenu là-bas un espace culturel pendant 15 ans et qui revient en Europe mais à Athènes pour lancer sa propre carrière artistique. Vous pouvez retrouver sa page Instagram ici. On trouve un restau de gyros et on s’attable.

Eugenio lâche des théories et des opinions assez tranchantes, j’adore ça. Il va un peu à mille à l’heure faut le suivre. Il me parle du réchauffement climatique, de la disparition de la biodiversité et de à quel point, nous en en tant qu’individus et société, on s’en fiche, on affiche notre désaccord mais ça ne nous arrache pas le cœur. Sur ce point, je suis assez d’accord : les sociétés industrielles s’accoutument très bien à la perte du vivant. Je ne connais pas les espèces de papillons, de poissons, d’oiseaux qui ont disparu parce que je ne les ai jamais vu. Et de plus les sociétés y ont pour partie consenti en vu d’augmenter leurs conditions matérielles. Il y a pu y avoir un consentement (certes fabriqué**) au développement du productivisme.

Attention parallèle un peu bizarre : ça me fait penser à la chute de l’usage du breton. Une des pilules difficiles à avaler pour moi est que dans le cadre du développement général de la France, les parents bretons ont décidé d’abandonner la langue au profit du français et de ne pas la transmettre en échange de promotions sociales plutôt que de s’organiser contre sa disparition.

Sa deuxième opinion, un peu surjouée, est que les humains devraient disparaître pour que les autres espèces puissent vivre.

Cette thèse revient souvent, que la nature reprennent sa place parce que nous sommes en train de la détruire. Et j’ai du mal à y trouver un fondement éthique valable. Pour moi, il n’y a pas une beauté inhérente à la nature. Oui c’est vrai comme le dit Eugenio, pendant le confinement, l’eau de Venise est redevenue claire, les biches se sont promenées sur les plages, et les saumons ont remonté les rivières. Mais c’est dans un état bien spécifique dans lequel nous avons trouvé la nature. C’est une beauté circonstanciée. La Terre a aussi été une boule de glace écrasant au passage la majeure partie du vivant. Et puis, c’est une position qui sépare les humains de la nature, ça me paraît intenable. Tous les humains ? Si oui même ceux qui vivent de manière soutenable ? Si non, à quel endroit est la frontière ? C’est une position qui paradoxalement considère l’humain comme anti-naturel, démiurge (j’aime bien le mot depuis que je le connais) et donc josé le dire, divin. Et puis qui va procéder à cette éradication ? Les humains eux-même ? Bon courage.

Moi mon opinion tranchée c’est que si la Terre doit devenir une boule de métal comme dans The Matrix, oui ce sera des trésors de beauté détruits, mais on pourra malgré tout dire que c’est une évolution naturelle. C’est avant pour les humains que les humains doivent préserver ce qui peut encore l’être. J’assume une position anthropo-centrée parce qu’il n’y a pas d’autre position effective.

Le gyros était délicieux en tout cas, Eugenio a envie de crêpe. Les Grecs ont des crêperies partout. Mais pas comme les nôtres.

Attention l’image suivante peut choquer les âmes bretonnes sensibles :

crêpe au frite Oui, les grecs l’ont fait…

Sinon ma crêpe au nutella manquait de beurre.


* FRONTEX est mis en cause par des journaux et par les propres services de l’UE pour violation des droits humains fondamentaux, tels que :

  • la non-assistance à personne en danger (investissement dans des drones plutôt que des canaux de sauvetage)
  • le refoulement aux frontières, empêchant les réfugiés de demander l’asile
  • la sous-traitance sans contrôle à des pays ne respectant pas les droits de l’Homme (Libye)

Plus généralement, l’UE organise l’externalisation des services d’immigration et choisit la dissuasion spectaculaire en laissant des migrants se noyer en Méditerranée.

Sources :

**Si on me mettait tous les jours à la TV ce qu’on a perdu depuis la révolution industrielle et ce qu’on va perdre dans les prochaines décennies, mon cerveau arrêterait de fonctionner. D’où l’importance de dire à quelle point les choix de société sont des produits médiatiques.